Pier Paolo Pasolini (1922-1975) était un poète, écrivain, réalisateur, scénariste, acteur et dramaturge italien, considéré comme l'un des plus grands intellectuels italiens du XXe siècle. Culturellement polyvalent, il s'est distingué dans de nombreux domaines, laissant des contributions en tant que peintre, romancier, linguiste, traducteur et essayiste.
Observateur attentif des mutations de la société italienne depuis l'après-guerre jusqu'au milieu des années 1970, et figure parfois controversée, il a souvent suscité de vives controverses et des débats animés en raison de la radicalité de ses jugements, Il était très critique à l'égard des habitudes bourgeoises et de la société de consommation qui émergeait en Italie à l'époque (il qualifiait les membres de la bourgeoisie italienne de "brutes, automates stupides adorateurs de fétiches"), ainsi qu'à l'égard de Soixante-Huit et de ses protagonistes (il qualifiait ces derniers de "fils à papa" et Soixante-Huit d'épisode évident de "hooliganisme sacré d'une tradition séculaire du Risorgimento"). Sa relation avec sa propre homosexualité est au cœur de son personnage public.
S’il est vrai que Pasolini a donné le meilleur de lui-même dans ses films courts et dans ses courts-métrages, ces trois scénarios, écrits dans les années soixante, en sont la confirmation. Très différentes entre elles dans leurs trames, les trois histoires sont en réalité parcourues par la même veine surréelle et humoristique, outre le fait qu’elles sont toutes trois caractérisées par une sorte de « théâtralité » du langage qui en fait des petits chefs-d’œuvre de la phase moins idéologique et plus comico-surréelle de Pasolini. Chaque scénario fait partie de trois films conçus en plusieurs épisodes, sortis dans les salles de cinéma entre 1963 et 1968, fruits de la collaboration de plusieurs réalisateurs mondialement connus.
La ricotta est un épisode de Ro.Go.Pa.G. (titre-sigle qui identifie les quatre cinéastes qui firent partie de la production du film : Rossellini, Godard, Pasolini et Gregoretti). C’est l’histoire d’une troupe cinématographique qui s’apprête à tourner un film sur la Passion du Christ comme s’il s’agissait d’un tableau vivant inspiré des « Dépositions » peintes par Pontormo et Rosso Fiorentino. Stracci, sous-prolétaire des banlieues de Rome, harcelé par une faim chronique, interprète dans le film le rôle du bon larron. Comme dans une vieille comédie, Stracci invente toutes sortes de stratagèmes pour se nourrir : il vend le petit chien de la Diva, achète une ricotta entière et la dévore dans une grotte, en même temps qu’une montagne de nourriture que la troupe lui a offerte pour se moquer de lui. Quand on tourne la scène de la Crucifixion, le larron demeure immobile sur la croix : Stracci est mort. La Terre vue de la Lune est un épisode surréel qui fait partie du film Les sorcières. Un épisode peuplé d’hommes et de fantômes et plein de gags, de dialogues et de coups de théâtre absurdes, qui rappelle les films comiques de Charlot ou les bandes-dessinées de Donald Duck. Le scénario est né du récit Le Plouc et la Plouque et se déroule parmi les ruines du Colisée et d’une banlieue fantasmagorique. Pour le film, Pasolini a créé aussi des bandes-dessinées très riches en couleurs qui ont servi de modèles aux chevelures et aux costumes des acteurs du film. Le troisième scénario, Qu’est-ce que c’est, les nuages ? est une relecture métathéâtrale de l’Othello de Shakespeare confiée à une compagnie de marionnettes pensantes qui, dans les coulisses, s’interrogent sur le destin qui lie chacun à son emploi. Quand Desdémone est sur le point d’être étranglée, le public enragé surgit et tue Othello et Iago qui sont jetés dans une horrible décharge. Mais là, parmi les ordures, les deux hommes voient pour la première fois le ciel et les nuages, et trouvent la paix en découvrant « la merveilleuse et poignante beauté de la Création ». Iago fut le dernier rôle de Totò qui mourut avant la sortie au cinéma de Caprice à l’Italienne, dont le film de Pasolini faisait partie. On est devant un choix stylistique nouveau et bien défini de Pasolini : un langage filmique léger et comique, à la fois absurde et amusant, parcouru par une veine théâtrale originale aussi éloignée de la tradition bourgeoise du récit que des règles de la narration dictées par le bon sens commun.